• RENCONTRE SUR LA ROUTE

     


       Voici un bel exemple d'intégration républicaine (c'est tendance... Quelle foutaise) dans lequel un homme qui était authentique a vu sa personnalité se fondre dans une morosité typique «aux déracinés» de tous les horizons confondus. Gros gâchis.

     

    Je ne me rappelle plus dans quelles conditions nous nous sommes connus mais c'est par l'intermédiaire de mon beau-père que cette rencontre a eu lieu.

    Beaucoup de gens du voyage avaient comme point de ralliement, le domicile « du Roi des Gitans » à Clermont-Ferrand.  Cet homme dont je parlerais par la suite était le grand-oncle de mon épouse.

    À cette époque, il régnait sur un monde encore assez mal connu. Il exerçait la profession de guérisseur et jouissait d'une certaine réputation.

    Ce personnage haut en couleur était Manouche. Musicien hors pair jouant de la guitare et du violon comme seuls savent en jouer les tziganes. De petite taille, un peu enveloppé, il portait sur son visage basané une fine moustache « à la Clark Gable». L'œil rond et narquois, d'une nature enjouée, rarement à court d'un bon mot, il pratiquait les jeux de mots de façon déconcertante et il fallait rapidement être tout à son écoute pour pouvoir le suivre sur son terrain.

    Il pouvait en présence d'un inconnu rester de longues minutes sans rien dire. Ses yeux pleins de malice allaient et venaient au grès de la conversation, d'un interlocuteur à l'autre et de temps en temps, nous prenant à témoin, il se fendait d'un : « ah ben », tout en hochant la tête.


    Portant bien, c'est-à-dire qu'il était élégant, son style était un peu désuet rappelant qu'autrefois il avait porté le costume trois pièces, le nœud papillon et la cravate à pois (ce qui me fut confirmé par la suite).
    Tony de son véritable prénom Antonietta était donc un personnage très intéressant.

    Les paysans au siècle dernier voyant arriver des individus au teint basané affublèrent cette famille du surnom «  WEISS » en Allemand. On reconnaîtra le comique de cette situation lorsque nous appelons Blanchette une femme noire. C'est que par chez nous, on a de l'humour...

    Venant de Belgique, il avait une vie très dure avec un père qui voyageait en Europe pour réparer les violons. De ce fait il était devenu violoniste et guitariste de profession. De cet épisode, il en retenait la découverte de la musique swing manouche. 

    La rencontre avec django Reinhart, son embauche aux côtés de musiciens prestigieux lui avaient donné des ailes ouvrant ainsi les portes des plus grands cabarets de l'époque à Paris et en Europe. Ne pouvant s'expatrier au-delà des mers, il avait vu son rêve se briser. 

    Dés l'arrivée de la guerre, sa famille avait fuit le Ch'Nord contrainte de se cacher pour échapper aux chambres à gaz des nazis.

    Malgré ces événements, il avait fait son chemin et échoué à Clermont-Ferrand, ville de notre rencontre.
    Il avait élu domicile dans un appartement d'entresol dans la banlieue, très coquet, vivant en célibataire car divorcé et père d'un fils qu'il ne voyait que très rarement. Sa première épouse était chanteuse de cabaret et actrice du cinéma muet.

    Je me souviens que dans ce petit appartement trônait une œuvre remarquable : un brûle encens tibétain. D'une valeur inestimable, mélange de dragon, de figures simiesques et de «tarabisco­tages hideux» le monstre devait peser cinq à six kilos d'art en bronze.

    Il nous recevait avec courtoisie mais restait méfiant quant à ma nouvelle venue dans son monde.

    Toujours prêt à dégainer sa guitare et à interpréter des airs anciens du répertoire de " Ray Ventura et les collégiens" swing Manouche et œuvres de son cru, nous passions alors des soirées à chanter en sa compagnie.

    Quand il jouait du violon, je restais bouche bée. Quel virtuose ! Il savait le caresser avec tant de doigté et de précision que n'importe quel air de musique tzigane se transformait en voyage initiatique. Tour à tour j'imaginais une roulotte brinquebalante cherchant un stationnement prés d'un village puis la même arrêtée dans un faubourg hideux car il y avait du travail.

     Me revenait alors ce poème de Louis ARAGON et interprété par Léo FERRE :

     «Il existe près des écluses un bas quartier de bohémiens dont la belle jeunesse s'use à démêler le tien du mien. En bandes on s'y rend en voiture ordinairement au mois d'août. Ils disent la bonne aventure pour des piments et du vin doux ...».

    Puis l'archet rageur attaquait les cordes et de gros nuages noirs passaient au dessus de ma tête, chargés de menaces, la belle gitane pleine de promesses s'enfuyait en emportant la bourse d'un gad­go crédule...quelle voleuse cette pie... et que de beaux yeux noirs...puis silence retour du  ciel sans nuages, calme, serein, apaisé...merci Django-Tony.

    Une année, il nous avait rejoints au pèlerinage des Saintes  Maries de la Mer. De justesse nous avons évité une bagarre car de jeunes gitans en manque de statu « je suis un homme, un dur, un tatoué » l'avaient bousculé et sa perruque avait volé.  Vexé d'avoir subit de tels outrages en notre présence, il jura « les morts » que les Espagnols (les Gitans ) étaient maudits... Il venait d'une autre époque, d'un autre monde.

    Tony parlait la romani pure souche. Je lui dois de savoir m'exprimer dans cette langue maintenant quasiment disparue. Il émaillait ses souvenirs de phrases citées en langue Romani, ce qui me plaisait beaucoup, car j'étais le seul à le comprendre. Il n'était pas avar de bons mots et d'histoires originales tirées de cette riche expérience vécue au milieu d'artistes du music-hall.

     il arrondissait ses fins de mois en donnant des cours. Fort de son succès, il présenta des élèves au conservatoire et ouvrit une école de musique. Il a formé une assez grande quantité d'élèves à son style musical, sa réputation était bonne et allait grandissante qui se produisaient en public avec beaucoup de succès.

    'Il était le parrain de notre fille Sarah. J’ai eu de la peine lors de son décès, je me suis permis de faire parvenir un texte épitaphe à FR 3 AUVERGNE dont je vous fais part :

     

     

    « Latcho drom . . phral... (bonne route et bonne chance .. frère )

    Grand voyageur de par ses origines, il savait faire voyager ses aficionados et les trimbaler de feux de camps en roulottes cahotantes.  La vie du voyage nous a séparés. Ma "romie" a repris la tradition ancestrale des gens du voyage. TONY a préféré stationner quelques temps en Auvergne sacrifiant son amour de la découverte. Cet homme, je l'ai connu. Il était vrai, détenteur d'un savoir venu de je ne sais où, seule sa mère et Dieu en connaissaient l'origine.  Ce savoir ancestral ne se transmet que par voies orales, rien n'est écrit et pour cause... dans quelle langue faut-il que je vous le dise ? en Allemand, en Belge, en Français, ... moi je suis Manouche.. " on a appelé ma mère WEISS ... blanche... car elle avait "la mouille kali "la gueule .noire... Stupéfaction !


    Ce don pour la musique est le fruit d'heures et d'années de travail, rien ne lui a été " offert" à la naissance, il était un bosseur acharné, un fou de l'effort, fréquentant très tôt le milieu musical parisien était un gars curieux.  Brûlant sa gueule burinée aux rampes des scènes des plus grandes music-hall. Travaillant le jour pour des " gadgés " dont il ne comprenait pas le style de vie et la nuit il délivrait son art au monde pour offrir cet inestimable cadeau aux autres : le partage de son savoir musical....mon pote le Gitan est un gars curieux….


    ...Et maintenant qu'allez vous faire .... de tout ce temps que sera votre vie.. Oui mes amis n'oubliez pas cet homme car à chaque fois qu'il vous communiquait son  savoir faire c'est un peu de son âme dont il vous faisait don.


    adieu et bonne route... nous nous reverrons un jour ou l'autre...... »

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Décembre 2015 à 17:30

    Salut LoupZen !!

    superbe hommage !!

    Je te souhaite tous mes vœux pour 2016 ainsi qu'a ta famille  !

      • Mardi 29 Décembre 2015 à 20:34

        Merci PHIL, tu es toujours le bienvenu en 2016.

        Tes blogs nous décollent la pulpe en titillant nos consciences empêtrées dans des convenances d’arrière gardes.

        Continue de nous apporter des infos venues d'autres planètes....tes vœux iront sur mes routes en 2016.

    2
    Lundi 28 Décembre 2015 à 17:51

    Tony? Je pensais à Joseph Patrac, je confonds?

      • Mardi 29 Décembre 2015 à 20:37

        Yes !  bel astre de lumière, il y a confusion sur les personnes....mais çà c'est une autre histoire.

        Merci de ta venue

    3
    Mardi 29 Décembre 2015 à 13:42

    il est des rencontres inoubliales, c'est vrai !! J'ai vécu de telles rencontres...

    Sais-tu que nous avons des chemins de vie similaires ?

    Toi le gadjo chez les gitans, moi la gadji de même, et je suis même persuadée que nous pourrions nous trouver des liens familiaux  par alliance !!

    C'est un bel hommage que tu rends à ton ami, respect !

     

     

      • Samedi 9 Janvier 2016 à 13:23

        Baro devel....Il va falloir que nous approfondissions nos chemins croisés....pourrais-tu me donner les coordonnées de ton livre ?

        merci

    4
    Mardi 29 Décembre 2015 à 15:34

    Il est des rencontres que l'on oublie jamais, des rencontres qui nous forgent, qui nous forment et nous ouvrent à la vie. Les liens que l'on tisse lors de ces rencontres exceptionnelles ne peuvent jamais être rompus, même la mort est impuissante. Heureux l'homme qui a enrichit sa vie d'une telle rencontre

    Amicalement

    Claude

      • Samedi 9 Janvier 2016 à 13:26

        Je n'ai vécu ma vie de nomade et d'aventure que grâce à des gens ordinaires qui avaient des expériences et des vies extraordinaires .

        Je n'ai été que le témoin de ces gens par leur présence, j'ai tutoyé les Dieux et vouvoyer des gueux.

    5
    Kikol
    Mardi 29 Décembre 2015 à 16:09

    Bonjour, Je ne connais pas le monsieur à qui un si bel hommage est rendu mais la lecture de ces lignes me laisse rêveuse quant à la personnalité de cet homme et à l'amitié et respect qu'a l'auteur de ces mots pour Tony. Pour ma part il m'arrive d'aller à la rencontre des gitans et je dois avouer que je suis toujours bien accueillie, peut-être savent-ils d'instinct que je ne leur suis pas hostile et que dans mon passé il y a eu aussi des "camps volants" et que cela nous rapproche ???? Ces rencontres sont toujours des moments de paix et de fraternité agrémentés de chants et d'airs de guitare, autour d'un feu de bois.... Moments  qui se font malheureusement de plus en plus rares dans notre monde actuel. Amitiés à tous.

      • Mardi 29 Décembre 2015 à 21:01

        Bonsoir, 

        Que de douceur et de tendresse dans votre commentaire. il y a bien longtemps que je n'avais entendu  "camps volants ".

        Merci de votre visite, nos vies de voyage nous laissent parfois" en absence " trop préoccupés par le hasard des rencontres.

        Nous n'oublions pas ces échanges, ils font nos personnalités, c'est grâce à toutes ces aventures vécues en compagnie de gens extraordinaires que nous pouvons nous aussi exister.

        En racontant nos rencontres je leur rend hommage..et ce n'est que justice.

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