• Nenes le Manouche (seconde partie)

     

    Ce Nénes était un curieux personnage. Vannier de profession, père de je ne sais combien d’enfants et grand-père d’une tribu de joyeux marmots, il ne comprenait pas grand-chose à ce monde moderne.

    Un jour que nous nous reposions en bordure d’une petite rivière, les reins calés contre une souche d’arbre, l’estomac en position « stand-by », cet homme s’est laissé aller à quelques confessions sur sa famille.

    Par respect et parce qu’il m’avait fait confiance, je ne vous révélerais pas ses « secrets ».

    Mais.... j’ai le souvenir d’une vieille photo chiffonnée qu’il avait extirpée de son porte feuille et sur laquelle il avait été photographié debout à coté d’une plaque Michelin portant le nom de « PARIS ».

    Sur un autre cliché, on le voyait jeune gaillard, tenant par le licol, un attelage de chevaux en bordure de la nationale 7, dans les faubourgs de Paname.

    Depuis de très longues années, en compagnie de sa famille, il participait au ramassage des pommes, la troupe forte d’une quinzaine de personnes, se rendait dans une commune avoisinante.

    Le déplacement de 5 caravanes hippomobiles était un spectacle qu’il ne fallait pas manquer.

    Délaissant les faubourgs de cette cité ouvrière, le convoi empruntait sur une quinzaine de kilomètres, des routes traversant 3 villages.

    Qu’il s’agisse d’arrêts commandés par la présence de poids-lourds, d’autobus, de Gendarmes ou d’un besoin urgent de se ravitailler dans une épicerie locale, toute la colonne stoppait pour le plus grand des plaisirs des villageois présents sur son passage.

    Certains membres de la famille en profitaient pour « chiner auprès des autochtones » quelques travaux qui leur permettraient de revenir dans le village.

    Arrivés à destination,ils étaient reçus par  un représentant de la mairie, souvent le garde champêtre ( en Romani : Pirescro) qui leur indiquait la place qu’ils devraient occuper pendant la saison de la cueillette des pommes canada.

    C’était toujours le même endroit, dans un chemin creux bordant une petite rivière à l'abri des vents, des regards hostiles des administrés et des curieux.

    Ce travail fournissait à ces gens de quoi subvenir à leurs besoins juste avant la saison des pluies et de la neige. Il se dégageait de cette opération une sorte d'humanité qui forçait mon respect envers cet édile.....et puis les chevaux pouvaient se reposer !

    Ils tressaient les paniers servant au ramassage des pommes canada, procédaient à la réparation des panières, tressaient les hottes pour les vendanges et rempaillaient les chaises en se rendant le matin de bonne heure dans es communes environnantes.

    A bien réfléchir, l’écolo que je suis, découvre les bienfaits dans la présence de ces nomades.

    Leurs chevaux fournissaient du crottin pour les jardinières qui ornent les balcons des maisons, les hommes qui « fouinaient »  dans les buissons faisaient fuir les serpents, les chemins et fossés étaient débarrassés des bois morts qui servaient à alimenter leurs feux de camps durant de longs mois.

    Ces hommes étaient maîtres dans l’art de l’affûtage des outils des paysans et tôt le matin, Nénes et un ou deux de ses garçons parcouraient les fermes pour aiguiser les couteaux et ciseaux. Notre homme poussait devant lui une sorte de carriole équipée d’une meule pour l’affûtage des lames.

    Dans cette remorque, dont il avait imaginé les plans un soir de grandes libations, se trouvait fixé sur le plancher un demi vélo équipé de la selle.

    Il s’asseyait et pédalait faisant tourner ainsi une meule à laquelle était attaché un récipient contenant de l’eau. Il achevait son travail de rémouleur en passant sur le fil du couteau une couenne de lard et un coup de « pierre à fusil ».

    A ses dires, il s’agissait d’un secret de finition que lui avait révélé un maître d’armes….imagination ? Coup de bluff ?

    Pas si sûre que ce soit là « un secret venu du fond des âges » avec trémolos dans la voix.

    J’ai rencontré des artisans qui procédaient de la sorte dans les murs de grands palaces cotés au guide Michelin, ils étaient « compagnons du Devoir et Meilleur Ouvrier de France ».

    Pour ma part, depuis cette rencontre, je procède ainsi. Comme beaucoup de Voyageurs, je possède des couteaux auxquels j'applique cette attention et dans mon entourage, je suis très souvent préposé à l’affûtage des lames.

    Lorsque nous étions sur le voyage, en compagnie de Catinou, ce savoir faire était reconnu dans des restaurants et des commerces de l'alimentation. Cette pratique du porte à porte nous permettait de boucler les fins de mois (en aparté nous avons connu les fins de mois qui débutaient le 10....)

    Ce laissé-passer, ce sésame nous ouvrait les portes des maisons et là, entrait en jeu mon savoir faire de vendeur.

    Cette technique du pied dans l'ouverture de la porte lorsqu'elle est pratiquée avec intelligence ( bof...je ne me vante pas!) est redoutable.

    C'est là une des techniques de vente apprises sur les marchés lorsque j'étais camelot (en langue Romani camelot signifie : gentil). Le plus difficile est d'appliquer la règle des 4 fois 20 :

    • les 20 premiers pas : avoir une attitude sûre

    • les 20 centimètres qui vous séparent de votre interlocuteur : sourire et regarder dans les yeux

    • les 20 premiers mots : faire une phrase de présentation courte

    • les 20 premières secondes : être conscient que tout se joue à cet instant; c’est là que se joue le ressenti client.

    Je proposais alors des séries de couteaux, des paniers en osier (que je fabriquais moi-même),mes services pour « débarrasser les caves et greniers » et what else....

    Et bien imaginez la galère pour ces gitans à la gueule « patibulaire mais presque », noirauds, dépenaillés, parfumés « au feu de bois », s'exprimant dans un français à faire se retourner ce bon Bled dans sa tombe...

    Le Nenes , quasiment tous les jours, frappait à un cinquantaine de portes pour voir s'entrouvrir...peut être 2 à 5 sésames.....c’est un de ces  « petits manouches » besogneux, sans gloire, objet de tous les quolibets et chargés de tous les maux de la création, qui m'a appris le respect pour les sans grades et les gueux.

    Les gens biens (?) voudraient que ces fainéants travaillent.... et qu'ils arrêtent de faire des enfants (à leur femme)....ils voudraient que leurs « occupations professionnelles » (?) soient encadrées par des règlements.....ils voudraient qu'il leur soit désigné et attribué un domicile fixe....(qui est-ce qui paye alors que la loi oblige sous certaines conditions les maires a mettre à disposition des aires de stationnement

    ils voudraient qu'on (con?)oublie les déportés tziganes dans les camps de la mort.... ... « Ah non...pas de cela chez nous !....nous,  nous les parquions dans des camps de transit pour les confier aux nazis....après cela ne nous regarde pas....la suite ...les souvenirs ? Partis en fumée (humour macabre!).

    Mais revenons à notre Manouche à casquette à carreaux autre fois blancs.....

    Je continue ou bien......



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  • Commentaires

    1
    Vendredi 19 Août 2016 à 08:29

    Bonjour Loup, tu me fais penser à mon enfance, lorsque le rémouleur passait dans les rues du village pour affûter les lames. Etait-il gitan? Je n'en sais rien, j'étais trop petite pour me soucier de ça, mais les roulottes tirées par des chevaux passaient aussi, et les femmes avaient peur qu'ils volent leurs enfants!..

    Je t'avais dit "fi de la nostalgie", et voilà que tu m'entraînes dans la tienne!

    Bien sûr tu continues quand même, comment revivre ses bons souvenirs sans nostalgie?

    Bonne journée mon frère Loup.

      • Dimanche 21 Août 2016 à 06:24

        Je m'accroche à des petits riens, à des détails qui sont des petites histoires qui  rassemblées feront la grande histoire de "certains hommes et femmes ".

        Ils ont marqué nos vies alors pourquoi se montrer égotiste et les oublier....ce sont ces "petites mains  de l'histoire " qui m'ont conduits devant toi à ce jour...

        Moi, mes amours d’antan c’était de la grisette
        Margot, la blanche caille, et Fanchon, la cousette...Pas la moindre noblesse, excusez-moi du peu  C’étaient, me direz-vous, des grâces roturières,
        Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière...Mon prince, on a les dam’s du temps jadis — qu’on peut...(BRASSENS)

        Je te prédis le meilleur....
         

    2
    Vendredi 19 Août 2016 à 14:37

    Tu ne peux faire autrement que de continuer he

    j'ai apprécié les fins de mois qui commençaient parfois le 10..... J'ai connu ça aussi sarcastic

    Bises Loup et à très vite

      • Dimanche 21 Août 2016 à 06:15

        J'arrive....j'arrive ...(pas comme dans la chanson de BREL) laisse le temps faire son travail.....clip clop clip clop....me fait la cafetièrezzz!

    3
    Samedi 20 Août 2016 à 08:30

    C'est sympa, mais ça c'était avant... aujourd'hui les manouches hein... c'est plus vraiment ça !

    Bon ouikend

      • Samedi 20 Août 2016 à 21:24

        "objection votre honneur"!!

        Il faut faire partie de ce monde parallèle pour percevoir certaines subtilités....

    4
    Lou Québec
    Dimanche 21 Août 2016 à 07:39

    La vie simple si bien racontée. Comme il convient... de l'aimer. Simplement la vie de tous les jours. Qui peut paraître banale de nos jours. En visionnant ce soir un reportage sur la vente, plus ou moins déguisée, de votre patrimoine public européen, je me suis dit : Eh ben voilà ! La Terre entière est sur le point d'appartenir à ceux qui se conforment, allègrement, aux lois du marché.

    Je préfère ne pas voir ce désastre en devenir et me concentrer sur vos délicieux récits, à hauteur d'homme. Défriqué...

    5
    Lou Québec
    Dimanche 21 Août 2016 à 07:41

    correction : patrimoine publique.

    6
    Lou Québec
    Dimanche 21 Août 2016 à 07:42

    Merci.

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