• LES BUISSONS ou LES SCHWARZ

     

    Le monde des Gens du Voyage a ses codes, qu’ils soient « dress » honneur ou conduite, ne pensez surtout pas que « ces tribus prophétiques aux prunelles ardentes » (Baudelaire) vivent de façon anarchique.

    Détenteurs de certaines  libertés que nous leur jalousons, ces femmes et hommes sont "empêtrés" dans des traditions qui rendent leur quotidien parfois semblable à un "Jacquouille " en ballade dans les couloirs du temps.

    Il y a des hiérarchies, des règles sacrosaintes à respecter, des conventions et des us et coutumes bien plus strictes que celles qui régissent vos vies de sédentaire.

    Les princes de la petite Egypte (Cette appellation est à l'origine du nom de GYPSY en Grande Bretagne, GITANO en Espagne et par déformation GITAN en France) ont leur aristocratie.

    Il y a des sédentaires et des Voyageurs.

    Il y a des semi-sédentaires et des Voyageurs occasionnels. De manière générale, il y a une sorte de respect-méfiance entre ces catégories.  Les uns  se disent « pure race » et se comportent comme les seuls héritiers de ces ancêtres qui vivaient autrefois sur les rives de l’Indus.

    Les autres relégués aux rangs de pauvres ne se mêlent pas à ses aristocrates du voyage et font bande à part.

    C’est de cette catégorie portant les stigmates de leurs origines dont je vais vous parler.

    Qui dit «  dessus du panier » dit « fond de caisse ».

    J’ai vécu à coté de ces nomades  Voyageurs par héritage de leurs ancêtres qui, il y a quelques siècles, après avoir franchi les rivages de l’Indus,  débarquèrent  à SISTERON dans le courant des années 1420.

    Ils sont surnommés « les Schwarz » pour leur couleur de peau ou « les buissons » à cause de leur mode de vie. 

    A l’époque, j’exploitais un commerce de brocanteur et de récupérateur en ferrailles.

    Tout au long de l’année, dans une campagne du centre de la France, je recevais des personnes qui venaient vendre s sortes de marchandises. Pour ces « romanos » le moindre franc que leur rapportait la vente d’une vieille batterie usagée, d’un tuyau de plomb, d’un kilo de cuivre, représentait le repas du soir  pour la famille.

    C’est lors de ces échanges qu’une forte amitié est née entre ces personnes et ma famille.

    Pour être folklorique ces échanges ont été rock n’ roll. Ces épisodes feront l’objet de chapitres complets dans un ouvrage qui devrait voir le jour au printemps.

    Pour en revenir à mes souvenirs, je ne parlerai que du mode de vie de ces « buissons ».

    Été comme hiver, ils étaient vêtus du strict nécessaire, découvert dans les poubelles ou grâce aux  œuvres de charité.

    Maîtrisant avec difficultés la langue de Molière je donnerais pour exemple ce qui suit : Un garçon rencontré au  hasard du voyage surnommé ''couteau-vélo'' était venu «faire la manche» en ces termes très imagés: ''Monsieur le bisicloutier, t'aurais pas un peu d'absolution, j'ai grévé avec ma chambe d'air''.

    NB : On dit chez nous mangav : mendier.

     Ce que vous auriez dû traduire par: «Monsieur le cycliste, pourriez-vous me donner de la dissolution car ma chambre à air est percée».

    Tout à l’avenant, les découvertes de ce langage furent une bénédiction pour mon entourage et pour moi-même.

    De fabuleux trésors en matière d’échange nous furent offerts lorsque il s’agissait d’expliquer certains tours de main en cuisine : Catinou expliquant comment réaliser une purée pour les enfants, comment monter une mayonnaise, l’usage de la vinaigrette, mais aussi dans les gestes de la vie courante : pas d’alcool dans les biberons des enfants, l’usage de la cigarette chez ces derniers, le pourquoi et le comment en matière de contraception...J’en passe et des meilleurs.

     Bénéficiant d’un grand terrain situé en pleine campagne, au fil des saisons, nous avons accueilli une dizaine de famille pour lesquelles, stationner devenait une priorité surtout lorsque leurs caravanes étaient tirées par des chevaux, les dépôts d’ordures sont loin d’être des endroits de villégiature très prisés.

     Les femmes étaient très jeunes, j’ai le souvenir que certaines portaient des enfants des l’âge de 14 ans, et sans vouloir faire de dessins, la consanguinité faisait de terribles ravages.

    Quant à la délivrance de papiers officiels pour percevoir des allocations, ce fut pour nous l’occasion de combats homériques avec les autorités locales.

    Elles avaient des gueules noires (calo mouille ), des yeux bleus pour certaines et même des taches de rousseur ! Elles allaient vêtues simplement, la poitrine généreusement offerte à la première bouche goulue d’un enfant..Notre fils en profita souvent…le gourmand !

     Les jeunes mariés passaient leur nuit de noces dans une voiture, dont les vitres étaient recouvertes de cartons pour conserver une relative intimité. Seul le siège conducteur était conservé, je vous laisse deviner pourquoi.

    Ce véhicule automobile qui de nos jours refuserait d’avancer à l’approche d’un Contrôle Technique Automobile, n’était généralement pas couvert par les assurances.

    Dés qu’ils avaient les moyens financiers de se payer un fourgon, la vie devenait alors plus facile. Maintes fois, de par notre commerce, nous avons participé à « l’émancipation » d’une de ces familles.

    Devenu autonome et « affranchi » le clan quittait notre stationnement, fier de pouvoir se déplacer sur les routes de notre région. Nous avions par l’intermédiaire des autres membres de cette communauté, de vagues nouvelles, suite à une naissance, une disparition ou un fait appartenant à la rubrique dite « des chiens écrasés ».

     Le voyage, leur seule raison d’être, reprenait le dessus, les emportant toujours un peu plus loin, « là ou l’herbe était plus verte, plus tendre »….Grande illusion.

    Bien des années plus tard, j’ai revu des membres de ces familles à qui nous avions donné un peu d’espoir et la possibilité de quitter la pauvreté dans laquelle ils étaient englués.

    Beaucoup se sont souvenus de nos exploits, les petits ont grandi, rattrapés par notre civilisation et par ses contraintes….plus heureux ?  des femmes devenues adultes nous ont montré leur descendance qui mange la purée en sachet ! les jeunes enfants vont en classe et l’herbe a remplacé les « mégots »…l’alcool permet d’oublier leur passé..Mais leur avenir ?

     

    Je n’ose pas y penser de peur de perdre l’instant présent qu’ils m’offrent au travers de ces retrouvailles.

     

    « I have a dream....Rêve éveillé ou réalité ?cacophonie de Loups ? »
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  • Commentaires

    1
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 11:10

    Ta femme et toi irez sans doute au paradis des gitans.

    Bon dimanche Loup.

      • Dimanche 10 Janvier 2016 à 12:40

        ...ou en enfer qui est pavé de bonnes intentions !

        Merci

    2
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 21:31

    Et un jour tu es tombé amoureux ............ (?) bon désolée j arrive tout juste dans ton histoire .... Je fouine en silence ..... (sourire) 

      • Lundi 11 Janvier 2016 à 13:21

        L'amour est enfant de Bohême...

    3
    Lundi 11 Janvier 2016 à 06:20

    venaient-ils de Bohème, ou d'un pays qui n'existe plus ?

      • Lundi 11 Janvier 2016 à 13:18

        Dans un "futur bouquin" si j'arrive à trouver un éditeur.... je témoigne longuement sur mes relations et sur la provenance de ces "buissons". Durant les années où nous sommes fréquentés, j'ai vraiment appris ce qu'tait la détresse et la misère humaine, mais la récompense qui m'a été offerte par eux et sans commune mesure avec ce que nous pouvons connaitre dans ce monde de civilisés.  Il s'agissait des familles ZIEGLER, WEISS, COUSSANTIEN, GARGOWITZ et GARGOWITCH, HELFRIED et HELFRID.......

        Je les compare( morphologie ), à des Hindous.

    4
    Lundi 11 Janvier 2016 à 15:46

    Bonjour,

    mon premier voyage de nomade je l'ai fait avec un Zigler, Torino, peintre et poète et sa compagne.

    Mon premier voyage des Saintes à Tarbes par un hiver glacial et dans ma première caravane qui avait tout d'un igloo tant Par la forme que par le froid qui régnait en maître à l'intérieur car je n'avais pas de poêle.

    Un souvenir glacé qui m'avait aussi fait prendre conscience du rejet des gitans par les gadjé, moi qui voyait tout en rose quand je suis rentrée dans ce monde, la claque !!!

    Je narre tout ça aussi dans mon livre sans prétention.

    Tu peux faire une auto édition par The Book Edition, la voie "normale " est très ardue, les éditeurs à compte d'éditeur de plus en plus sévères et attention aux éditions à compte d'auteur souvent c'est l'arnaque ...

    J'ai choisi la voie de l'auto édition, mais j'ai été aidée par une amie qui m'a fait la mise en pages et la couverture en se servant d'une de mes aquarelles.

    Comme toi je voulais témoigner et laisser un héritage écrit à mes petits enfants.

     

     

    5
    Mardi 12 Janvier 2016 à 11:35
    Très belle histoire bonne journée
    6
    Vendredi 15 Janvier 2016 à 07:10

    Etre et avoir été sera toujours une question existentielle, il faut se poser les bonnes questions et continuer le chemin 

    bonne journée

    Marie

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